← La vie des textes de Sarah Carré

BABÏL

Éditions théâtrales Jeunesse
2019
Théâtre /Jeunesse / Créé / Publié
« Elle est à qui la parole? »
 

Synopsis

Deux amis, Tohu et Bohu, racontent une histoire qu’ils ont inventée : un peuple, au pays du Lointain décide de bâtir une tour qui les rassemble, mais les relations s’enveniment et l’édifice peine à s’élever.
Tout comme les personnages de leur récit, Tohu et Bohu ont du mal à s’accorder. L’un, confiant, est très à l’aise avec les mots. L’autre, plus timide, bégaie et finit difficilement ses phrases. Il leur faut pourtant se partager la parole et l’écoute pour trouver le chemin du faire ensemble.
Revisitant le mythe de la tour de Babel, cette pièce met en scène une joyeuse histoire de la parole. Elle propose aussi une réflexion sur le langage accessible aux plus jeunes.

Prix et distinctions

  • Sélection pour la «Pépite Fiction junior 2019», prix Salon du livre et de la presse jeunesse - France Télévisions (Montreuil).
  • Lauréat en 2019-2020 du 17e Prix de la pièce de théâtre contemporain pour le jeune public (DSDEN du Var et la bibliothèque de théâtre Armand-Gatti).
  • Sélection du comité de lecture du Théâtre de la Ville (Paris) (2020).
  • Coup de cœur 2020 du comité de lecture de la CCAS.
  • Sélection du dispositif « Je lis du théâtre » - Athénor (Saint-Nazaire) (2021-2020).
  • Sélection pour les « Les Inédits de Cahors » 2019.
  • Sélection pour la 3e édition du festival « Les Hauts parleurs » (Collectif A mots découverts/Paris).

Mise(s) en scène

2017 : L’Embellie Cie (Lille)
Mise en scène : Stéphane Boucherie.
Avec Gérald Izing et Yann Lesvenan

2018 : Cie Eclats de scènes (Avignon)
Mise en scène et interprétation : Sarah Nedjoum et Elsa Kmiec
Regard extérieur : Frédéric Richaud (Centre Dramatique Des Villages du Haut Vaucluse)
https://cddv-vaucluse.com/la-tour-de-belba/

2020 :  Cie Du jour au lendemain (Marseille)
Mise en scène : Agnès Regolo.
Avec Raphaël Bocobza et Antoine Laudet
https://www.dujouraulendemain.com/spectacles/babil/

2020 : Cie TAIM (Corbigny)
Mise en scène : Marie Teissier.
Avec Garnce Legrou, Nicolas Naudet, Pascal Rousseau, Marie Teisser
https://taim.fr/babil-de-sarah-carre/

2022: Cie Looking for my left hand (Clichy)
https://www.lookingformylefthand.fr/la-compagnie/

2024 : en cours. Cie Degadezo (Strasbourg)
https://www.degadezo.com

C'est celui qui dit qui est

« À l’origine de Babïl, il y a Elif. Une petite fille que j’ai ignorée, délaissée peut-être, parce qu’elle m’était invisible. Sa voix si ténue, si timide ne portait pas. Pas assez pour que je l’entende au sein d’un groupe plus bruyant qu’elle. Un jour de confiance, en moi, en elle-même, elle a parlé plus fort et je l’ai écoutée : elle était d’une pertinence rare. Elle a parlé plus fort et je l’ai regardée. Elif était magnifique.

Ça m’a plongée dans un grand désarroi.

À l’origine de Babïl, il y a, à l’autre bout de la vie, un grand- père, le mien, qui, atteint d’une maladie neurologique, perd le langage. Il a toute sa tête, mon grand-père, ses yeux le disent, mais la parole ne suit pas. Ne suit plus. Il bégaie, anônne, s’efforce de dire, quand même, malgré tout. Il s’accroche. En vain. Il passe désormais aux yeux des autres pour un benêt, un presque rien. Il disparaît avec son langage.

Ça m’a plongée dans un grand désarroi.

L’émotion déclenche le besoin d’écrire. Après, j’essaie d’y voir clair...

Prendre la parole c’est exister. Pour soi, pour les autres. Parler c’est aussi prendre un pouvoir. Sur celui qui écoute. Il y a ceux qui parlent fort, qui parlent haut, qu’on remarque, qu’on écoute, même s’ils n’ont rien à dire. Et puis aussi ceux qui bredouillent, murmurent, ceux qu’on n’entend pas, quoi qu’ils aient à raconter. De la classe maternelle à la salle de réunion, à l’échelle individuelle et collective, la parole est enjeu de pouvoir. Et ce, «depuis la nuit des temps». Le scénario, toujours identique, n’est pas tout à fait pour me plaire...

Je pressens que cette réflexion-là, ce serait intéressant de la partager avec les plus jeunes qui, dès l’acquisition du langage, l’éprouvent. Alors je décide d’aller rencontrer des enfants. Je passe plusieurs mois dans différentes classes maternelles et ça me dit que je suis au bon endroit. Je vérifie que les jeunes enfants font l’expérience chaque jour de ce que Pierre Bourdieu nomme le «marché linguistique»1. C’est décidé, j’y vais. Je peux me mettre à l’écriture.

Au début, c’est le bazar, un vrai tohu-bohu (presque au sens étymologique de «désert désorganisé»)! Dans ma tête et sur la page. Je ne parviens pas à trouver comment partager avec de jeunes enfants cette question qui m’anime tant et qui nous appartient tous. Après mille détours compliqués, j’imagine tout simplement un Tohu qui, parce qu’il maîtrise un langage «normé», vit avec évidence son autorité. Et un Bohu qui, au contraire, oscille entre rébellion et abandon confortable, car parler c’est s’exposer à une évaluation de l’autre. Il y a dans leur relation un rapport de force qui est posé d’emblée et que je ne veux pas chercher à expliquer. Mais comme je suis plutôt optimiste et que dans la fiction on peut rêver tant qu’on veut, je mise sur le fait qu’une profonde amitié devrait leur permettre de dépasser leur rivalité, de trouver à ce déséquilibre une alternative. Des alternatives. Celle du silence d’abord, du silence individuel et du silence partagé. Celle d’un verbe créateur aussi. Qui raconte, à l’inverse de Babel, le chemin à parcourir depuis la disper- sion jusqu’à la construction commune, depuis l’écoute de soi jusqu’à l’écoute de l’autre.

Je mise sur le fait qu’une histoire des hommes remodelée, plus lumineuse et incarnée, ça peut aider à avancer... »

S.C.

1. Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Fayard, 1982.